Manu V.

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Sa première action aura été de réaliser un faux et de le révéler en vrai. En 1985, alors qu’il travaillait dans l’entreprise familiale de chaudronnerie, le très récent Musée d’Art Contemporain de Dunkerque exposait César. Au cours du vernissage, l’artiste se prêta à une série de dédicaces de son catalogue. Manu V. a, pour l’occasion, écrasé avec le camion de l’entreprise quelques boites de coca qui trainaient dans l’atelier. Il en a ensuite sélectionné une et s’est rendu le soir même pour la faire signer par l’artiste, celui-ci se prêta au jeu avec délectation. Cette rencontre décisive aura permis d’aiguiser son regard sur le monde dans lequel il évoluait. Il s’est donc mis à récupérer, dans les usines où il intervenait, des rebuts de productions dont quelques-uns ressemblent à s’y méprendre à des expansions de César ou des accumulations d’Arman, à ce détail près que ces sculptures ont été produites lors de défaillances mécaniques, par des machines. « On fait de la peinture pour être libre. On ne veut pas aller au bureau tous les jours » » disait Duchamp. Manu.V par contre allait au boulot tous les jours et n’avait pas à faire de l’art puisque l’industrie l’accomplissait pour lui. Il se contentait simplement de le collectionner.

Aujourd’hui, il a fait son trou, comme on dit, dans le milieu de l’art. À la fois ouvrier, technicien vidéo, gardien et médiateur sur des expositions d’art contemporain, c’est un touche à tout ce qu’il peut quand il veut. Sa production sur le lieu et le temps de travail s’adapte à la nature de l’emploi qu’on lui propose. Elle passe par le parasitage revendiqué des expositions qu’il est amené à surveiller, à des actions invisibles ou effacées. La série des « chiffons », en est une parfaite illustration. Elle est issue des différents contrats en serrurerie et procède d’un dédoublement simultané du geste: exécution du travail exigé et réalisation d’objets personnels. Jouant du pli et du repli (à la manière de Simon Hantaï), ces chiffons ont servi au dégraissage du métal destiné à la fabrication de décors ou d’œuvres pour différents artistes. La valeur de ces suaires de la sueur diffère donc en fonction de la cotation de l’artiste pour lequel il « travaille ». Cependant, le désordre dans lequel il classe ces bouts de tissus empêche toute éventuelle estimation financière. Au delà de ce questionnement sur la valeur de l’objet, Manu.V examine le rôle de l’artiste et le « statu quo » de l’ouvrier. L’artiste ne parle-t-il pas continuellement de son travail? Et l’ouvrier n’est-il pas toujours en train d’œuvrer laborieusement? Ne tranchant ni pour l’un ni pour l’autre, il est néanmoins les deux à la fois.

Son ami Frédéric dira de lui en plaisantant: « c’est un pratiquant non croyant ».

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